Au canal, Marie-Laure Hurault et Frédéric Khodja
"Il y a un double propos dans ce livre (triple, en fait) : à mesure que la narratrice enquête pour savoir quel drame a bien pu se dérouler le long du canal, le roman cherche sa forme et tourne autour du polar sans jamais totalement s'y laisser enfermer. Le troisième propos est tissé par les montages de Frédéric Khodja qui ajoutent une épaisseur de mystère et réécrivant eux aussi des images d'archives. Ma lecture a peut-être été conditionnée par les liens que je connais avec Marie-Laure Hurault et l’œuvre romanesque de Maurice Blanchot, mais j'ai retrouvé dans ce livre cette densité du hors-champs, les ombres portées, et le jeu - en définitive - avec les conventions romanesques, que l'on connait dans les romans (trop souvent sous-estimés) de Blanchot."
Lu par Arnaud Maïsetti
"Au canal est un texte de vertige, de folie qui tient du rêve et du délire. Un texte qui joue du basculement, du déséquilibre et emporte avec lui ce qui fait le monde coutumier pour le désétablir ou le restituer à son vertige le plus profond, sa précarité la plus inquiète. Car toujours quelque chose appelle dans les angles morts, dans l’indéfini des marges. Tout le long, d’un tableau à l’autre, le canal s’impose comme le personnage central, inhumain ou informe s’insinuant dans les êtres. Territoire familier et angoissant, redouté et insistant comme ces puits que l’on porte au-dedans, ces appels du chaos, il n’est pas sans évoquer la Zone de Stalker, filmée par Tarkovski dans son vertige géographique, dans la tension dramatique qui en dessine l’espace. Il devient une obsession, le lieu de ce qui réclame et qui n’est jamais dit.
Les images de Frédéric Khodja n’illustrent pas le texte de Marie-Laure Hurault en se donnant à lire. Elles ne racontent pas. Elles n’anticipent pas une description que l’on va lire et elles ne sont pas la confirmation imagée à posteriori des situations que le texte nous invite à nous figurer. Enigmatiques pour celui qui en attendait autre chose, elles s’invitent davantage comme sensations, comme éléments de trouble, rejouant sous leur mode propre le déséquilibre par lequel la fiction se met en marche, comme autant de trouées, autant de figures. Images narratives et images visuelles, dans une proximité d’esprit dévoilent leur abîme, leur vertige, les capacités qui sont les leurs de se tordre, s’inverser, se creuser pour concourir à l’expression d’une vérité convulsive."
Au canal est un livre double. D'abord, car il est né d'une collaboration : Marie-Laure Hurault pour le texte, et Frédéric Khodja pour les collages photographiques. Ensuite, car le livre vit dès à présent sa seconde vie, après une première parution uniquement numérique il y a plusieurs années dans la collection de Jérémy Liron et Arnaud Maïsetti. Pour cette occasion, il voit se déployer un texte revu et corrigé, et une atmosphère graphique réinventée pour s'adapter à l'objet papier. Enfin, car le livre vous emmènera dans des zones troubles de notre monde présent, entre les genres connus, à la frontière avec d'autres univers artistiques (la photographie comme on l'a vu, mais aussi le cinéma auquel semble sans cesse se référer le récit).
Dans ce livre très visuel, qui se tisse autant dans la recherche permanente de clair-obscur que dans la nécessité d'occuper l'espace au sens large, on se sent en sursis. Quelque chose va se produire, là où les ombres prennent racine, de l'autre côté du miroir.
168 pages
ISBN papier 978-2-37177-580-0
ISBN numérique 978-2-37177-225-
Au canal, Marie-Laure Hurault et Frédéric Khodja, 2019
Au canal, Marie-Laure Hurault et Frédéric Khodja, 2014